dimanche 25 octobre 2015

Je ne courrai jamais plus de 10km.

Ça y est, c’est décidé, ma carrière de coureur vient de prendre un tournant majeur. Je ne courrai jamais une distance plus longue que 10km pour le reste de mes jours.   

Pourquoi?

Parce que j’ai fait 260km dans la jungle en 7 jours. Parce que 2 semaines plus tard, j’ai encore mal aux pieds et parce que j’ai moins d’énergie qu’une limace dépressive qui fait une mononucléose. Je ne courrai jamais plus de longue distance parce que l’entraînement est trop long, trop exigeant.  Je ne courrai jamais plus des longues distances parce que cela n’a aucun sens. Vraiment aucun. À quoi ça rime de faire 48 heures de vol et d’attente, 12 heures de bateau, pour me rendre dans la jungle, y courir pendant 7 jours, dormir dans un hamac et manger de la bouffe en sac, traîner un sac à dos de 18 lb, voir des yeux orange dans la nuit qui te regardent, perdre 13 lb ( bon ok, ça c’était pas grave) et t’ennuyer de ta famille à en pleurer comme un lézard perdu en antarctique?

Ce n’est pas parce que j’ai fait un voyage extraordinaire que je vais recommencer. Ce n’est pas parce que j’ai côtoyé des hommes et des femmes épatants, que j’ai vu des paysages à couper le souffle ou que je me suis baigner en plein milieu de la jungle amazonienne que je vais avoir le goût de refaire une telle aventure. Ce n’est pas parce qu’un sanglier est passé à 100m de moi, ou que des paramédic bénévoles, provenant de l’Angleterre et ayant pris 2 semaines de vacances pour venir nous soigner, que je vais avoir le goût de recommencer.

Ce n’est surtout pas parce que j’ai traversé des rivières de plus de 200m, descendu un ruisseau de 300m à la nage ou marché dans des marécages en plein milieu de la jungle, que j’ai éprouvé un plaisir d’enfants. Les papillons, les singes hurleurs, les araignées ou les lézards  ne m’ont surtout pas impressionné…

J’ai même pensé abandonner. En fait, j’ai abandonné. J’ai croisé Kevin et Andy environ 200 mètres avant le check point, 2 chics types avec que je me suis lié d’amitié qui ont dû abandonner. Je retenais mes sanglots en leur expliquant que ma course se finissait ici. Les 2 ont tenté de me motiver, mais c’était peine perdue. Kevin m’a même donné un bonbon pour m’encourager. Vous ne pouvez imaginer combien ce bonbon était bon après 8 jours de bouffe séchée. Mais pas assez bon pour me faire continuer… Je suis donc arrivé à un point de contrôle à 15km du départ de la 6ème journée et j’ai avisé les paramédics que j’abandonnais. Je n’en pouvais plus. La chaleur, la fatigue, les ampoules, ma vitesse qui ne faisait que décliner et les 70km restants m’ont eu. Donc je me suis assis sur le sol, en pleurant comme un enfant. Les gros sanglots, les pensées noires, « toute le kit » comme on dit. D’après moi, j’avais même la morve qui me coulait du nez. Comme les enfants.  J’étais dans le trou noir. Vous savez cette énergie négative qui t’aspire vers le fond. Tu veux t’en sortir mais  tu n’arrives pas à t’agripper sur le rebord du gouffre et tu ne fais que t’y enfoncer. Toutes tes pensées sont négatives. Je préparais des réponses aux commentaires qui me seraient faits à mon retour à propos de mon échec. Je préparais les explications qui justifieraient mon abandon. Surtout, je préparais des explications pour mes enfants qui m’attendaient avec la médaille!

Et là, 2 anges sont arrivés. Andrew et Laini. 2 de ces paramédics qui ont pris congé pour remonter le moral des troupes et soigner leurs ampoules (également endurer une odeur de jaguar mal léché du coureur qui ne s’est pas trop lavé depuis quelques jours et qui se promène à des températures de 40 degré), je vous le dis, des anges!  Lisez bien ce qu’ils ont fait, car si un jour je suis dans une situation où je peux aider un coureur, c’est exactement ce que je ferai.

Donc ils ont commencé par m’écouter. Mais pas trop. Juste assez pour que j’évacue ma détresse. Ensuite, ils m’ont parlé de tout sauf la course. Mes enfants, mon travail, ma gazelle. Andrew m’a bien fait rire en me disant que les 2 choses qui lui manquaient le plus étaient un frigo rempli de bière et une toilette. Laini, belle comme un cœur, s’est simplement assise à côté de moi et m’a mis une main sur un genou, car j’étais assis recroquevillé. Un contact humain. Vous croyez que c’est banal? Pas du tout! Un simple geste qui signifie : nous sommes là pour t’aider. À force de discuter, ils m’ont convaincu de repartir au moins jusqu’au prochain check point, 8km plus loin, ce que j’ai fait.

1km après mon départ d’avec ces 2 personnes, je savais que j’aillais finir la course. Je tendais la main, ils m’ont sorti du trou noir. La morale? Si vous tombez dans le trou, n’hésitez pas à tendre la main. Il y aura des anges qui vous aideront, faites confiance.

J’ai donc continué. J’étais parti ce matin-là à 6h40 et j’ai terminé la nuit à 01h30. Si je compte bien, ça ne fait pas trop loin de 19h de marche. Laini, l’ange du check point, était présente à mon arrivée et a traité mes ampoules, de 01h45 à 02h30. Couché à 3h00, je me suis relevé le lendemain à 6h30. Je n’ai pas vraiment bien dormi car les jambes et les pieds faisaient mal et un hamac, c’est cool pour faire une sieste au soleil un samedi de congé, pas pour récupérer d’une journée de 19h de marche!

Finalement, la dernière journée de 24km, s’est bien déroulée. Ce fut très long, mais j’y suis arrivé. D’ailleurs, avant l’arrivée, Rebecca, une super australienne et venue me rejoindre environ 500m avant la fin et Kevin un Belge super sympathique, qui est devenu mon pote, m’attendaient 100m avant l’arrivée avec une bière et des verres. Nous avons donc, tous les 3, pris un verre de bière pour célébrer la fin de cette épreuve de fou, 100m avant la fin. Il n’y a aucun mot qui pourrait d’écrire ce moment de complicité. Merci Kevin et Rebecca.

Je vous l’écrivais, dans ces moments, on touche l’âme. J’ai senti mes enfants. Réellement. Ma petite qui se couche la tête sur mon épaule. Les cheveux de mon 3ème qui se prennent dans ma barbe lorsque je le monte dans son lit. Mon 2ème qui se colle comme un chat sur moi dans le divan. Mon premier qui vient me réveiller en se blottissant dans mon dos. J’ai ressenti ma douce qui met son nez dans mon cou. Je n’ai pas eu à imaginer ces moments. Ils se sont présentés à moi tout simplement et j’ai apprécié la chance que j’avais. J’avais l’amour qui sortait de tous les pores de ma peau. Je n’avais jamais ressenti autant ma famille sans être avec eux. Ésotérique? Peut-être. Mais je vous jure que c’était particulier.

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J’ai touché ma limite. Ce genre de course sert à se découvrir, découvrir cette fameuse limite. Je l’ai dépassée, avec de l’aide, mais dépassée. Je ne pourrais pas dire que je suis fier. Ce n’est pas le bon terme. Je n’ai pas fait cette course pour prouver quoi que ce soit, à qui que ce soit, mis à part moi. Je me suis prouvé que j’étais capable. Ce soir, en écrivant ce billet, je ne réalise peut-être pas encore ce que j’ai fait. Oui c’était difficile, mais c’était surtout merveilleux. Oui j’ai souffert, mais je me suis surtout dépassé. Pour certain, ce que j’ai fait est un exploit. Ce l’est peut-être. Cependant, je n’en suis pas certain. Pour moi, c’est surtout une expérience Humaine. Une épreuve physique et mentale qui me servira dans les moments plus durs de ma vie.  C’est une histoire que je pourrai raconter à mes petits-enfants un jour. C’est une médaille que je n’ai pas besoin de d’accrocher à mon cou, car mes tripes l’ont portée…

Finalement, je suis peut-être un peu fier. Je ne suis pas fier d’avoir réalisé cette course en particulier, mais fier de prouver aux gens que c’est faisable. Vous savez depuis mon retour, je me suis fait dire à quelques reprises que j’avais servi d’inspiration à des gens. Cela n’a jamais été mon objectif. Je ne me considère pas du tout comme un modèle, je l’ai dit à plusieurs reprises. Mais si grâce à cette histoire, des gens acceptent que l’on puisse réaliser ses rêves même s’ils sont fous, que l’on puisse se dépasser même si on est un père de famille, qui travaille à temps plein, qui aime le vin (et qui va bientôt se marier J), c’est tant mieux. Si des coureurs qui sont sur le point d’abandonner, pensent à moi en se disant que tout est possible et que cela les aide à terminer leur course, super…
 

Donc, je ne courrai jamais plus que 10km…même si ma gazelle essaye de me convaincre de m’inscrire à un trail au Sri Lanka dans quelques années. Non, jamais plus de 10km. Au pire, j’en ferai plusieurs collés par jour, car vous savez : ce que femme veut…
 
 
                                                                       Laini et Andrew, les anges


                                                       Kevin et Rebecca à l'arrivée

 

 

vendredi 16 octobre 2015

Jungle Marathon : l’introduction


Ça y est, je suis de retour. Assis dans mon divan, nous sommes vendredi matin et le Jungle Marathon semble déjà loin. Évidemment, il y a toujours une période où on ne réalise pas trop ce que l’on vient de faire et je suis peut-être dedans. Pour l’instant, je suis heureux d’être avec ma fiancée et mes enfants. Je suis content d’entendre crier, d’avoir à répéter 1000 fois aux gars de se préparer car ils vont manquer leur autobus. Je suis content de voir ma cocotte qui se tient debout et qui marchera bientôt. Je suis content d’être là.

Je tente de faire un bilan de cette épopée de fou et il m’est difficile de tout rassembler. Il y a le côté physique de la course, le côté humain. Il y a la difficulté psychologique de l’épreuve et j’irais même parler de l’aspect spirituel. Il y a ce sentiment de fierté mais également le sentiment de doute. Il y a aussi de fichu feeling d’avoir plus de visibilité et de reconnaissance que ce que je mérite…

Je vous explique. Très honnêtement, je sais que ce que j’ai fait semble exceptionnel et l’est peut-être un peu. Mais je suis persuadé que plusieurs d’entre vous auriez la capacité de réaliser ce défi. Je ne suis pas un athlète de pointe. Je me suis convaincu que j’étais capable, je l’ai fait. Mais je savais que j’allais souffrir, je savais que cela prendrai du temps, de l’entraînement et de l’argent et j’ai accepté de me lancer dans l’aventure. Car il ne faut pas oublier que c’est 1 an et demi de préparation!

Les gens ordinaires peuvent réaliser des choses extraordinaires. Il suffit simplement de se donner le coup de pied et de croire qu’on est capable. Les coureurs du Jungle Marathon étaient comme moi, des monsieurs et madames tout l’monde. Ils avaient des enfants, un travail. Les super-héros n’existent pas. À part quelques exceptions de la nature qui ont une génétique particulière, nous sommes tous des gens ordinaires. Certains veulent croquer dans la vie, j’en fais partie. 
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Comme je ne veux pas écrire un blog de 20 pages, j’ai décidé d’en écrire plusieurs petits. J’écrirai selon l’état du moment. Donc ne vous en faites pas, selon mon état, seront plus joyeux que d’autres, plus drôles. Certains seront assurément plus « profonds », plus sombres. Car une chose est certaine : je suis allé jouer dans un endroit que certains là-bas appellent « le trou noir à l’intérieur de nous », endroit sombre dans lequel on veut sortir rapidement. Je crois d’ailleurs que notre limite personnelle s’y trouve. Car oui, je voulais trouver ma limite et je l’ai vue. Je me suis même assis dessus. J’ai failli tomber.

Je vais écrire ces articles pour me rappeler. Ce sera un journal, un récit d’une épreuve humaine autant que physique. Ce sera le souvenir et les raisons du pourquoi je suis différent. Car je sais pertinemment qu’il y a un petit quelque chose de changé. Pour le mieux je crois.   

Donc, comme on dit à la télé : à suivre!