Pourquoi?
Parce que j’ai fait 260km dans la jungle en 7 jours. Parce
que 2 semaines plus tard, j’ai encore mal aux pieds et parce que j’ai moins d’énergie
qu’une limace dépressive qui fait une mononucléose. Je ne courrai jamais plus
de longue distance parce que l’entraînement est trop long, trop exigeant. Je ne courrai jamais plus des longues
distances parce que cela n’a aucun sens. Vraiment aucun. À quoi ça rime de
faire 48 heures de vol et d’attente, 12 heures de bateau, pour me rendre dans la
jungle, y courir pendant 7 jours, dormir dans un hamac et manger de la bouffe
en sac, traîner un sac à dos de 18 lb, voir des yeux orange dans la nuit qui te
regardent, perdre 13 lb ( bon ok, ça c’était pas grave) et t’ennuyer de ta
famille à en pleurer comme un lézard perdu en antarctique?
Ce n’est pas parce que j’ai fait un voyage extraordinaire
que je vais recommencer. Ce n’est pas parce que j’ai côtoyé des hommes et des
femmes épatants, que j’ai vu des paysages à couper le souffle ou que je me suis
baigner en plein milieu de la jungle amazonienne que je vais avoir le goût de
refaire une telle aventure. Ce n’est pas parce qu’un sanglier est passé à 100m
de moi, ou que des paramédic bénévoles, provenant de l’Angleterre et ayant pris
2 semaines de vacances pour venir nous soigner, que je vais avoir le goût de
recommencer.
Ce n’est surtout pas parce que j’ai traversé des rivières de
plus de 200m, descendu un ruisseau de 300m à la nage ou marché dans des
marécages en plein milieu de la jungle, que j’ai éprouvé un plaisir d’enfants.
Les papillons, les singes hurleurs, les araignées ou les lézards ne m’ont surtout pas impressionné…
J’ai même pensé abandonner. En fait, j’ai abandonné. J’ai
croisé Kevin et Andy environ 200 mètres avant le check point, 2 chics types
avec que je me suis lié d’amitié qui ont dû abandonner. Je retenais mes
sanglots en leur expliquant que ma course se finissait ici. Les 2 ont tenté de
me motiver, mais c’était peine perdue. Kevin m’a même donné un bonbon pour m’encourager.
Vous ne pouvez imaginer combien ce bonbon était bon après 8 jours de bouffe
séchée. Mais pas assez bon pour me faire continuer… Je suis donc arrivé à un
point de contrôle à 15km du départ de la 6ème journée et j’ai avisé les
paramédics que j’abandonnais. Je n’en pouvais plus. La chaleur, la fatigue, les
ampoules, ma vitesse qui ne faisait que décliner et les 70km restants m’ont eu.
Donc je me suis assis sur le sol, en pleurant comme un enfant. Les gros
sanglots, les pensées noires, « toute le kit » comme on dit. D’après
moi, j’avais même la morve qui me coulait du nez. Comme les enfants. J’étais dans le trou noir. Vous savez cette
énergie négative qui t’aspire vers le fond. Tu veux t’en sortir mais tu n’arrives pas à t’agripper sur le rebord
du gouffre et tu ne fais que t’y enfoncer. Toutes tes pensées sont négatives.
Je préparais des réponses aux commentaires qui me seraient faits à mon retour à
propos de mon échec. Je préparais les explications qui justifieraient mon
abandon. Surtout, je préparais des explications pour mes enfants qui m’attendaient
avec la médaille!
Et là, 2 anges sont arrivés. Andrew et Laini. 2 de ces
paramédics qui ont pris congé pour remonter le moral des troupes et soigner
leurs ampoules (également endurer une odeur de jaguar mal léché du coureur qui
ne s’est pas trop lavé depuis quelques jours et qui se promène à des températures
de 40 degré), je vous le dis, des anges! Lisez bien ce qu’ils ont fait, car si un jour
je suis dans une situation où je peux aider un coureur, c’est exactement ce que
je ferai.
Donc ils ont commencé par m’écouter. Mais pas trop. Juste
assez pour que j’évacue ma détresse. Ensuite, ils m’ont parlé de tout sauf la
course. Mes enfants, mon travail, ma gazelle. Andrew m’a bien fait rire en me
disant que les 2 choses qui lui manquaient le plus étaient un frigo rempli de
bière et une toilette. Laini, belle comme un cœur, s’est simplement assise à
côté de moi et m’a mis une main sur un genou, car j’étais assis recroquevillé.
Un contact humain. Vous croyez que c’est banal? Pas du tout! Un simple geste
qui signifie : nous sommes là pour t’aider. À force de discuter, ils m’ont
convaincu de repartir au moins jusqu’au prochain check point, 8km plus loin, ce
que j’ai fait.
1km après mon départ d’avec ces 2 personnes, je savais que j’aillais
finir la course. Je tendais la main, ils m’ont sorti du trou noir. La morale?
Si vous tombez dans le trou, n’hésitez pas à tendre la main. Il y aura des
anges qui vous aideront, faites confiance.
J’ai donc continué. J’étais parti ce matin-là à 6h40 et j’ai
terminé la nuit à 01h30. Si je compte bien, ça ne fait pas trop loin de 19h de
marche. Laini, l’ange du check point, était présente à mon arrivée et a traité mes
ampoules, de 01h45 à 02h30. Couché à 3h00, je me suis relevé le lendemain à
6h30. Je n’ai pas vraiment bien dormi car les jambes et les pieds faisaient mal
et un hamac, c’est cool pour faire une sieste au soleil un samedi de congé, pas
pour récupérer d’une journée de 19h de marche!
Finalement, la dernière journée de 24km, s’est bien
déroulée. Ce fut très long, mais j’y suis arrivé. D’ailleurs, avant l’arrivée,
Rebecca, une super australienne et venue me rejoindre environ 500m avant la fin
et Kevin un Belge super sympathique, qui est devenu mon pote, m’attendaient
100m avant l’arrivée avec une bière et des verres. Nous avons donc, tous les 3,
pris un verre de bière pour célébrer la fin de cette épreuve de fou, 100m avant
la fin. Il n’y a aucun mot qui pourrait d’écrire ce moment de complicité. Merci
Kevin et Rebecca.
Je vous l’écrivais, dans ces moments, on touche l’âme. J’ai
senti mes enfants. Réellement. Ma petite qui se couche la tête sur mon épaule.
Les cheveux de mon 3ème qui se prennent dans ma barbe lorsque je le
monte dans son lit. Mon 2ème qui se colle comme un chat sur moi dans
le divan. Mon premier qui vient me réveiller en se blottissant dans mon dos. J’ai
ressenti ma douce qui met son nez dans mon cou. Je n’ai pas eu à imaginer ces
moments. Ils se sont présentés à moi tout simplement et j’ai apprécié la chance
que j’avais. J’avais l’amour qui sortait de tous les pores de ma peau. Je n’avais
jamais ressenti autant ma famille sans être avec eux. Ésotérique? Peut-être.
Mais je vous jure que c’était particulier.
_______________________
J’ai touché ma limite. Ce genre de course sert à se
découvrir, découvrir cette fameuse limite. Je l’ai dépassée, avec de l’aide,
mais dépassée. Je ne pourrais pas dire que je suis fier. Ce n’est pas le bon
terme. Je n’ai pas fait cette course pour prouver quoi que ce soit, à qui que
ce soit, mis à part moi. Je me suis prouvé que j’étais capable. Ce soir, en
écrivant ce billet, je ne réalise peut-être pas encore ce que j’ai fait. Oui c’était
difficile, mais c’était surtout merveilleux. Oui j’ai souffert, mais je me suis
surtout dépassé. Pour certain, ce que j’ai fait est un exploit. Ce l’est
peut-être. Cependant, je n’en suis pas certain. Pour moi, c’est surtout une
expérience Humaine. Une épreuve physique et mentale qui me servira dans les
moments plus durs de ma vie. C’est une
histoire que je pourrai raconter à mes petits-enfants un jour. C’est une
médaille que je n’ai pas besoin de d’accrocher à mon cou, car mes tripes l’ont
portée…
Finalement, je suis peut-être un peu fier. Je ne suis pas
fier d’avoir réalisé cette course en particulier, mais fier de prouver aux gens
que c’est faisable. Vous savez depuis mon retour, je me suis fait dire à
quelques reprises que j’avais servi d’inspiration à des gens. Cela n’a jamais
été mon objectif. Je ne me considère pas du tout comme un modèle, je l’ai dit à
plusieurs reprises. Mais si grâce à cette histoire, des gens acceptent que l’on
puisse réaliser ses rêves même s’ils sont fous, que l’on puisse se dépasser
même si on est un père de famille, qui travaille à temps plein, qui aime le vin
(et qui va bientôt se marier J),
c’est tant mieux. Si des coureurs qui sont sur le point d’abandonner, pensent à
moi en se disant que tout est possible et que cela les aide à terminer leur
course, super…
Donc, je ne courrai jamais plus que 10km…même si ma gazelle
essaye de me convaincre de m’inscrire à un trail au Sri Lanka dans quelques
années. Non, jamais plus de 10km. Au pire, j’en ferai plusieurs collés par jour,
car vous savez : ce que femme veut…
Laini et Andrew, les anges
Kevin et Rebecca à l'arrivée